Financer l'innovation : un défi essentiel pour les start-up de Goma

Patient NGANDU - Directeur de publication 

À Goma, au cœur de la région du Kivu, une nouvelle génération d’entrepreneurs tente de réinventer l’économie locale. Portées par la créativité, la technologie, les services innovants et un désir profond de transformation sociale, de nombreuses start-up voient le jour. Pourtant, malgré leur potentiel, la majorité de ces jeunes entreprises peinent à franchir les premières étapes cruciales de leur développement : accéder aux financements nécessaires pour transformer leurs idées en projets viables. Dans une région où l’écosystème entrepreneurial est encore balbutiant, financer l’innovation demeure l’un des défis majeurs à relever.

Une jeunesse innovante, mais sous-financée

Le dynamisme entrepreneurial à Goma ne fait plus de doute. Dans les secteurs du numérique, de l’agroalimentaire, de l’énergie, ou encore des services à la personne, les jeunes porteurs de projets multiplient les initiatives. Ces start-up, souvent fondées par des jeunes diplômés ou des autodidactes passionnés, répondent à des besoins réels : accès à l’eau potable, mobilité urbaine, digitalisation des services, livraison à domicile, recyclage, etc.

Mais derrière cet enthousiasme se cache une réalité difficile : le manque criant de capitaux. Peu de jeunes entreprises disposent de l’épargne personnelle nécessaire pour démarrer, et les systèmes de financement traditionnels (banques, microfinances) ne sont ni adaptés ni accessibles à des structures naissantes et à haut risque. Le crédit bancaire, quand il est possible, est souvent adossé à des garanties exigeantes, que peu d’entrepreneurs débutants peuvent fournir.

L'absence d’un écosystème de financement structuré

À la différence de certains écosystèmes africains en croissance comme ceux de Nairobi, Kigali ou Lagos, Goma ne dispose pas encore d’un réseau structuré d’investisseurs spécialisés dans le financement de l’innovation. Les business angels y sont rares, les fonds d’amorçage presque inexistants, et les incubateurs peinent à jouer leur rôle de levier financier faute de moyens eux-mêmes.

Certains programmes d’aide existent, portés par des ONG, des agences de coopération internationale ou des institutions religieuses. Mais ces opportunités sont souvent ponctuelles, peu coordonnées, et ne couvrent qu’un petit nombre de projets. Le manque d’informations centralisées sur les possibilités de financement constitue en soi un obstacle. De nombreux jeunes entrepreneurs ignorent à qui s’adresser ou comment monter un dossier convaincant.

Des freins structurels à lever

Outre l’absence de financements adaptés, plusieurs obstacles viennent alourdir le parcours des start-up à Goma. L’environnement macroéconomique est instable, marqué par l’inflation, la dépendance à l’économie informelle et une faible bancarisation. À cela s’ajoutent des problèmes d’infrastructures : coupures d’électricité, accès limité à internet haut débit, mobilité urbaine difficile.

Les formalités administratives pour créer une entreprise restent lourdes, malgré les efforts récents pour les simplifier. Par ailleurs, l’absence de politiques publiques claires en faveur de l’innovation locale décourage les investisseurs potentiels. Le manque de protection de la propriété intellectuelle ou de cadres juridiques pour les contrats d’investissement accroît encore la méfiance.

Enfin, les barrières culturelles ne doivent pas être négligées : dans une société encore marquée par la recherche d’emplois stables dans l’administration ou les ONG, l’entrepreneuriat est perçu comme un choix risqué, voire marginal. Le soutien social, familial ou institutionnel aux jeunes porteurs d’idées est encore trop faible.

Les besoins spécifiques des start-up gomatraciennes

Les start-up de Goma ne recherchent pas uniquement des financements. Elles ont besoin d’un accompagnement global : mentorat, structuration juridique, accès à des compétences spécifiques (gestion, marketing, comptabilité, technologie), et surtout d’un accompagnement à la levée de fonds. Beaucoup de jeunes fondateurs méconnaissent les mécanismes de financement adaptés à leur stade de développement : love money, crowdfunding, capital-risque, concours de pitch, etc.

Le besoin de financement s’exprime dès les premières étapes (prototypage, tests de marché), puis s’intensifie lors de la phase de croissance (recrutement, outils, communication). Sans accès à des financements progressifs, alignés sur la maturité du projet, de nombreuses idées prometteuses échouent ou stagnent.

Quelles pistes pour renforcer le financement de l’innovation ?

Face à ces défis, plusieurs pistes doivent être envisagées pour améliorer la situation.

1. Encourager la création de fonds d’amorçage locaux. Les institutions publiques, les bailleurs internationaux et les entreprises établies pourraient collaborer pour créer des fonds spécialisés dans l’appui aux start-up. Ces fonds devraient être souples, accessibles et gérés par des structures proches du terrain.

2. Développer le capital-risque communautaire. Le concept de "community investing" pourrait être adapté à Goma, en mobilisant les élites locales, les diasporas et les entrepreneurs à succès autour de l’idée d’un financement solidaire de l’innovation.

3. Renforcer les incubateurs et les programmes d’accélération. En leur donnant plus de moyens, ces structures pourraient jouer un rôle clé dans la mise en relation des start-up avec des investisseurs, la préparation des levées de fonds, et le développement de modèles économiques viables.

4. Sensibiliser les banques et microfinances. Même si elles ne sont pas les mieux placées pour financer des start-up à haut risque, les institutions financières pourraient développer des produits spécifiques pour les jeunes entreprises : microcrédits flexibles, avances remboursables, garanties partagées avec des ONG partenaires.

5. Promouvoir les solutions alternatives. Le financement participatif (crowdfunding), les concours entrepreneuriaux, les subventions à l’innovation, ou encore les financements publics à impact social sont autant de pistes à explorer et à structurer localement.

6. Créer un guichet unique d'information. Une plateforme numérique recensant toutes les opportunités de financement et d’accompagnement serait un outil précieux pour les jeunes entrepreneurs de Goma, souvent isolés.

Une responsabilité collective

Le financement de l’innovation ne peut être laissé à la seule initiative des entrepreneurs. C’est un enjeu collectif, qui concerne l’ensemble des acteurs économiques, éducatifs et institutionnels. Soutenir les start-up de Goma, c’est investir dans l’avenir de la ville, dans des solutions locales aux défis sociaux, économiques et environnementaux qui se posent aujourd’hui.

Dans une région trop souvent associée aux conflits, à la pauvreté et à l’instabilité, les jeunes entreprises innovantes offrent une image différente, plus dynamique et plus tournée vers l’avenir. Elles méritent plus que de l’admiration : elles méritent un véritable accompagnement, des financements audacieux et des politiques publiques courageuses.

C’est à ce prix que Goma pourra devenir un pôle régional d’innovation, capable de retenir ses talents et de rayonner bien au-delà des frontières du Kivu.