Quels sont les défis financiers pour les start-up à Goma


Enquête de terrain sur les obstacles économiques des jeunes entreprises locales


Introduction

À Goma, la dynamique entrepreneuriale est palpable. De jeunes pousses voient le jour chaque mois, portées par une jeunesse inventive, passionnée et résolument tournée vers le changement. Pourtant, au-delà de l’énergie créative, un mur invisible freine leur croissance : l’accès au financement.

Pour mieux comprendre les freins financiers rencontrés par les start-up locales, Journal OWANDJI a mené une enquête de terrain auprès d'une trentaine d'entrepreneurs, banquiers, incubateurs et experts financiers à Goma. Ce que nous avons découvert, c’est un écosystème riche d’idées mais encore trop pauvre en ressources accessibles.


1. Une réalité omniprésente : le manque de fonds de démarrage

La grande majorité des start-up interrogées déclarent avoir démarré avec moins de 1 000 USD. Un capital dérisoire pour lancer des activités sérieuses, surtout dans les secteurs comme la tech, l’agroalimentaire ou la production artisanale.

Aline Kasereka, fondatrice de MamaJua, une marque de cosmétiques naturels, témoigne :

« J’ai lancé mon activité avec mes propres économies et quelques contributions de la famille. Mais au bout de deux mois, j’étais déjà à court de fonds pour acheter les matières premières. »

Ce manque de capital initial bloque les projets dès les premières étapes. Très peu d’entrepreneurs disposent d’un plan de trésorerie, encore moins d’un compte bancaire professionnel. L’idée reste souvent au stade d’initiative artisanale ou informelle.


2. Le problème de solvabilité : un cercle vicieux

Les banques et microfinances consultées (TMB, Rawbank, COOPEC Imara) affirment que le manque de garanties reste l’un des principaux freins à l’octroi de crédits aux start-up.

« La plupart des jeunes entrepreneurs ne possèdent ni garantie matérielle, ni historique bancaire crédible. Cela pose un réel problème de solvabilité, » confie un responsable crédit de la COOPEC Nyiragongo.

Sans titres fonciers, sans épargne constituée, les porteurs de projets n’ont que leur idée… et dans un système bancaire très prudent, cela ne suffit pas. Résultat : plus de 85 % des start-up ne sollicitent même pas un prêt bancaire, anticipant un refus quasi certain.


3. La méfiance généralisée envers les jeunes entreprises

Une autre barrière souvent évoquée est la perception négative que les financeurs ont des jeunes entreprises. Ces dernières sont souvent perçues comme risquées, instables et mal gérées.

Jean Bosco N., fondateur d'une start-up numérique spécialisée en e-commerce, partage son expérience :

« Lors de ma demande de financement, on m’a clairement dit que ‘les jeunes avec leurs idées digitales, c’est trop risqué’. C’était frustrant car j’avais déjà validé mon produit auprès de 200 utilisateurs. »

Les innovations numériques, les modèles disruptifs ou les activités peu traditionnelles ont du mal à gagner la confiance des institutions financières. Dans un environnement conservateur, l’originalité est parfois considérée comme un défaut.


4. Une grande méconnaissance des options de financement

L’un des constats les plus frappants de notre enquête est le manque d’informations concrètes sur les opportunités de financement.

La plupart des entrepreneurs ne connaissent ni les fonds de soutien disponibles, ni les appels à projets nationaux ou internationaux. Le financement participatif, les business angels ou les subventions internationales restent des concepts abstraits.

Chantal M., diplômée en agroéconomie et fondatrice d’une entreprise de jus naturels, explique :

« J’ai entendu parler de concours pour jeunes entrepreneurs mais je ne sais pas où chercher. On ne nous informe jamais à temps. »

Les canaux d’information ne sont ni centralisés, ni facilement accessibles. Les incubateurs et espaces d’accompagnement, comme Espace Bilombe, Goma Tech Hub ou Pole Hub, font de leur mieux mais sont encore peu nombreux et limités en couverture.


5. L’absence d’un cadre institutionnel stimulant

Plusieurs entrepreneurs pointent également du doigt l’inexistence d’une politique claire de soutien aux start-up par les autorités locales.

Malgré quelques initiatives sporadiques, comme le programme provincial "Goma Jeunes Entrepreneurs" ou les concours de pitch sponsorisés par des ONG, il n’existe pas encore :

  • de fonds public local pour l’innovation,
  • de guichet unique d’accompagnement,
  • de fiscalité simplifiée pour les jeunes entreprises.

« C’est comme si l’État nous disait : débrouillez-vous seuls, » regrette un entrepreneur du secteur de la transformation alimentaire.


6. Des start-up fragilisées par l’informalité

Notre enquête révèle également que plus de 60 % des start-up interrogées ne sont pas légalement enregistrées, ce qui complique davantage l’accès aux financements formels. L’enregistrement est perçu comme coûteux, long et sans réel bénéfice immédiat.

Cette informalité prive les jeunes entreprises de :

  • l’accès aux marchés publics,
  • la reconnaissance officielle,
  • la participation aux programmes de soutien financier.

Or, sans structure juridique claire, difficile pour les banques ou bailleurs de les prendre au sérieux.


7. Des modèles économiques parfois mal définis

Enfin, un défi souvent mentionné par les incubateurs est l’immaturité de certains projets. Beaucoup de start-up n’ont pas de business model clair, de prévisions financières solides, ni d’indicateurs de viabilité.

« Avant même de parler d’argent, il faut s’assurer que le projet est structuré, bancable. Or, ce n’est pas souvent le cas, » explique Aimé N., coach en entrepreneuriat à l’incubateur YoungDev Africa.

Un grand nombre de jeunes entrepreneurs se lancent sans étude de marché, sans stratégie claire, et sans accompagnement technique. Ce manque de préparation rend difficile toute négociation avec des partenaires financiers.


Conclusion : un écosystème à structurer et à informer

L’enquête révèle une série de défis entremêlés : faibles ressources propres, manque de garanties, méfiance des financeurs, mauvaise information, cadre institutionnel peu favorable, et faible structuration des projets. Ensemble, ces éléments expliquent le blocage de nombreuses start-up au stade embryonnaire.

Pour débloquer la situation, il est urgent :

  • d’élargir l’accès à l’information sur les opportunités de financement,
  • de promouvoir des dispositifs de microcrédit souples,
  • de mettre en place un guichet d’appui aux start-up au niveau provincial,
  • de renforcer les capacités des entrepreneurs à formaliser et structurer leurs projets.

Car derrière ces obstacles se cachent des talents, des idées et des ambitions capables de transformer l’économie locale. Encore faut-il leur donner les moyens de se financer et de croître.