Réinventer le microcrédit – Défis et innovations pour Goma


Le microcrédit, longtemps perçu comme une réponse alternative aux exclusions du système bancaire classique, est à un tournant décisif à Goma. Alors que la demande de financements flexibles ne cesse de croître, en particulier chez les femmes, les jeunes et les travailleurs informels, les limites du modèle traditionnel se font sentir : procédures rigides, taux d’intérêt parfois dissuasifs, inadéquation entre les produits proposés et les réalités locales. Face à ces défis, une nouvelle génération d’initiatives émerge, portée par la solidarité communautaire et la transformation numérique.

Un système à bout de souffle ?

Le microcrédit classique, tel qu’il est pratiqué depuis une vingtaine d’années à Goma, repose souvent sur des prêts de montants modestes (de 50 à 500 USD), accordés par des institutions de microfinance (IMF) ou des ONG à des individus ou des groupes solidaires. Si ce modèle a permis à de nombreuses personnes de lancer ou de renforcer une activité génératrice de revenus, il montre aujourd’hui ses limites :

  • Taux d’intérêt élevés : Certaines IMF appliquent des taux dépassant 30 % par an, ce qui étouffe la rentabilité des micro-entreprises.
  • Garanties exigées : Bien que le microcrédit soit censé être accessible sans garantie matérielle, certaines structures imposent encore des cautions ou des conditions restrictives.
  • Manque de personnalisation : Les produits sont souvent standardisés, peu adaptés aux cycles économiques spécifiques de secteurs comme l’agriculture ou l’artisanat.

Pour répondre aux aspirations nouvelles des entrepreneurs locaux, il devient impératif de réinventer le microcrédit, en mettant l’innovation au service de l’inclusion financière.


1. Les groupes solidaires : retour à l’essence communautaire

À Goma, plusieurs projets réhabilitent une approche ancestrale du crédit : la solidarité communautaire. Le modèle des tontines améliorées ou groupes d’épargne et de crédit autogérés gagne du terrain. Il s’appuie sur la confiance entre membres d’un même quartier ou d’une même coopérative.

« Les membres cotisent régulièrement, puis se prêtent à tour de rôle avec un faible taux d’intérêt. Pas besoin de garantie, car la pression sociale suffit à assurer le remboursement. »

Ce modèle présente plusieurs avantages :

  • Flexibilité dans les conditions de remboursement.
  • Accompagnement mutuel entre membres.
  • Renforcement du lien social, souvent affaibli par les crises successives à Goma.

De nombreuses ONG, comme Élan Féminin ou Hope for Youth, accompagnent ces groupes en les dotant de registres, d’outils comptables simples, voire de formations à la gestion d’activité.


2. Le microcrédit numérique : quand le téléphone devient une banque

L’un des bouleversements les plus prometteurs vient du microcrédit digital. À Goma, l’usage du mobile est désormais généralisé, même dans les quartiers périphériques. Des institutions comme Hope RDC ou Tujijenge expérimentent des applications mobiles ou des partenariats avec des opérateurs de mobile money (Airtel Money, M-Pesa) pour accorder de petits prêts sans formalités lourdes.

Fonctionnement :

  • L’utilisateur crée un profil mobile.
  • Il demande un prêt via son téléphone.
  • Après une évaluation simplifiée (historique de paiements, données sociales), le crédit est octroyé et transféré immédiatement sur le compte mobile.
  • Le remboursement s’effectue par petites tranches, souvent hebdomadaires, directement via le mobile.

« Le crédit mobile permet de toucher ceux que nous ne pouvions pas atteindre avant : les vendeurs ambulants, les motards, les mères célibataires… », confie Jean-Marie Bashizi, de Hope RDC.

En réduisant les coûts de gestion, ces plateformes rendent le crédit plus accessible, avec des taux plus bas, une rapidité de traitement et un potentiel d’extension considérable, y compris en milieu rural.


3. L’intégration de l’éducation financière : un pilier d’efficacité

L’un des freins majeurs au succès du microcrédit à Goma reste le manque de compétences en gestion financière chez les bénéficiaires. Beaucoup peinent à distinguer argent personnel et fonds de l’entreprise, ou à planifier les remboursements.

Pour pallier cela, certaines institutions associent désormais un module de formation obligatoire à l’octroi de crédit :

  • Notions de base en gestion de budget.
  • Comptabilité simplifiée.
  • Évaluation de la rentabilité.

Certaines IMF vont plus loin en proposant un coaching de proximité, avec des agents terrain qui rendent visite aux clients chaque mois pour évaluer les performances de l’activité et ajuster le remboursement si nécessaire.


4. Le microcrédit orienté “impact” : une nouvelle vision

Une autre innovation notable consiste à conditionner le crédit à des objectifs sociaux ou environnementaux. C’est le cas de certains programmes de microcrédit vert pour les artisans travaillant avec des matériaux recyclés, ou des crédits à taux bonifié pour les femmes qui scolarisent leurs enfants.

Ce modèle repose sur une logique d’impact mesurable :

  • Soutenir des activités à forte valeur sociale (alimentation, santé, éducation).
  • Encourager les pratiques durables.
  • Favoriser l’inclusion des personnes marginalisées, comme les déplacés internes ou les personnes en situation de handicap.

5. Le rôle des partenariats et de la régulation

Réinventer le microcrédit à Goma passe aussi par une meilleure synergie entre les acteurs :

  • Institutions publiques, qui doivent offrir un cadre légal incitatif.
  • Banques commerciales, appelées à créer des produits de microfinance.
  • Organisations internationales, qui peuvent injecter des fonds et des compétences techniques.
  • Collectivités locales, en lien avec les réalités du terrain.

La mise en place d’un fonds de garantie régional, par exemple, permettrait de couvrir une partie du risque pour les IMF et donc de réduire les taux d’intérêt appliqués aux plus pauvres.


Conclusion : Un microcrédit réinventé, inclusif et résilient

Le microcrédit à Goma n’est pas condamné à reproduire les limites du passé. Bien au contraire, les innovations en cours montrent qu’il peut devenir un outil moderne, agile et profondément humain, au service d’une économie locale plus inclusive.

Mais pour que ce potentiel se réalise pleinement, il faut :

  • Encourager les innovations technologiques au service de l’inclusion financière.
  • Favoriser l’approche communautaire et les dynamiques locales.
  • Miser sur l’éducation financière des bénéficiaires.
  • Construire une gouvernance participative du secteur.

À l’heure où Goma cherche à rebondir face aux multiples défis qu’elle traverse, le microcrédit peut être l’un de ces leviers qui, s’il est bien pensé et adapté, changera réellement des vies. Parce qu’un petit prêt, bien utilisé, peut faire naître un grand projet.