L’industrialisation durable : un défi pour les générations futures à Goma
Dans le tumulte de la croissance urbaine et des ambitions économiques renouvelées, Goma se tourne de plus en plus vers l’industrialisation comme levier de transformation. L’idée d’une économie locale fondée sur la production industrielle séduit à juste titre : elle promet des emplois, de la valeur ajoutée, et une indépendance vis-à-vis des importations massives qui étouffent les économies africaines. Pourtant, face à cette aspiration légitime, une question essentielle demeure : quelle forme d’industrialisation voulons-nous pour Goma et le Kivu ?
La réponse ne peut se limiter à une vision de développement économique rapide. Car l’industrialisation, si elle est mal pensée, peut produire autant de dommages qu’elle prétend réparer. Il est temps d’embrasser l’idée d’une industrialisation durable, soucieuse des générations futures, respectueuse de l’environnement et inclusive socialement.
Un contexte propice… mais fragile
Goma bénéficie d’atouts considérables pour bâtir une base industrielle : un marché en expansion, une jeunesse dynamique, une position stratégique dans la région des Grands Lacs, et des ressources naturelles abondantes (eau, minerais, produits agricoles). Cependant, ces forces sont fragilisées par des faiblesses structurelles : infrastructures insuffisantes, énergie instable, environnement juridique incertain, et surtout, l’absence d’un cadre réglementaire clair pour orienter l’industrialisation vers la durabilité.
À défaut d’une telle orientation, la tentation est grande d’importer des modèles industriels dépassés : polluants, extractivistes, et inadaptés aux réalités locales. Ce serait une grave erreur. Car le coût écologique d’une industrialisation mal encadrée pourrait dépasser les bénéfices économiques de court terme.
Les dangers d’une industrialisation non durable
Une industrialisation aveugle aux conséquences environnementales présente plusieurs risques :
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Pollution des sols et des eaux : les rejets industriels non traités peuvent contaminer les sources d’eau, essentielles à la vie et à l’agriculture locale.
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Déforestation accrue : en l’absence de réglementation, les industries extractives et énergétiques pourraient accélérer la déforestation, avec des conséquences graves sur le climat et la biodiversité.
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Émissions de gaz à effet de serre : le recours aux énergies fossiles (générateurs diesel, charbon) pour alimenter les usines pourrait aggraver l’empreinte carbone de la région.
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Gestion des déchets industriels : sans système de traitement, les déchets solides et chimiques s’accumuleront, posant des risques sanitaires majeurs.
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Exclusion sociale : une industrialisation sans mécanismes d’inclusion pourrait aggraver les inégalités, en marginalisant les communautés rurales, les femmes ou les jeunes sans qualification.
Goma ne peut se permettre d’ignorer ces dangers. Elle doit au contraire montrer qu’une voie africaine d’industrialisation durable est possible, ancrée dans la réalité locale, mais ouverte à l’innovation.
Les piliers d’une industrialisation responsable à Goma
Pour relever ce défi, cinq piliers devraient structurer toute politique industrielle à Goma :
1. L’innovation verte
L’industrialisation du 21e siècle ne peut se passer de technologies propres et d’énergies renouvelables. Il est essentiel d’investir dans des procédés peu consommateurs en énergie, de recycler les déchets industriels, et d’intégrer dès le départ des systèmes de traitement des eaux usées et des émissions.
Des exemples concrets existent déjà à Goma, comme les petites unités de recyclage de plastique ou de transformation de biomasse en briquettes écologiques. Ce sont là des embryons d’une économie circulaire à soutenir et à étendre.
2. L’urbanisme industriel planifié
L’implantation anarchique d’unités industrielles dans les zones résidentielles ou agricoles doit être évitée. Il faut planifier des zones industrielles durables, dotées de services de base (électricité, routes, assainissement), de systèmes de gestion des déchets, et d’un accès régulé à l’eau et à l’énergie. Ces zones doivent être pensées comme des éco-parcs industriels, avec une logique de mutualisation des ressources et de réduction des externalités négatives.
3. La formation et l’emploi inclusif
L’industrialisation ne doit pas exclure, mais inclure. Elle doit permettre l’ascension sociale des jeunes, des femmes, des artisans et des populations rurales. Cela passe par des programmes de formation professionnelle adaptés aux besoins des industries, par l’apprentissage en alternance, et par des politiques de quotas ou de soutien aux entrepreneurs issus des groupes sous-représentés.
4. La gouvernance et la régulation
Aucune industrialisation durable ne peut réussir sans un cadre réglementaire strict, une fiscalité écologique incitative, et des institutions capables de faire respecter les normes environnementales et sociales. L’État et les collectivités doivent jouer un rôle de pilote : définir des priorités, accompagner les investisseurs vertueux, et sanctionner les pratiques destructrices.
5. La concertation avec les communautés
Une industrie ne peut être durable si elle entre en conflit avec les communautés locales. Les populations doivent être associées à la planification des projets industriels, informées des risques, consultées sur les impacts environnementaux, et bénéficiaires des retombées économiques. Il faut rompre avec la logique de dépossession qui a souvent accompagné les grands projets en Afrique.
Un rôle clé pour les entreprises et la société civile
Les entreprises, qu’elles soient grandes ou petites, ont un rôle crucial à jouer. Elles doivent intégrer la durabilité dans leur modèle d’affaires : audit environnemental, évaluation de l’impact social, charte éthique, partenariat avec des ONG locales, et investissement dans les communautés.
La société civile, quant à elle, doit veiller, alerter, proposer. Les médias, les organisations environnementales, les syndicats et les associations de consommateurs ont leur mot à dire. L’industrialisation ne doit pas se faire dans l’opacité, mais dans la transparence et la redevabilité.
Penser l’avenir aujourd’hui
Dans 20 ou 30 ans, que dira-t-on de l’industrialisation de Goma ? Aura-t-elle créé une classe moyenne locale dynamique, renforcé la souveraineté économique et préservé les richesses naturelles ? Ou laissera-t-elle un paysage ravagé, des conflits sociaux, et un modèle de développement insoutenable ?
Ce choix appartient aux générations actuelles. Il dépend des décisions que nous prenons aujourd’hui, des investissements que nous priorisons, et des valeurs que nous portons.
Conclusion : faire de la durabilité un impératif, pas une option
Goma ne manque pas d’ambition. Mais pour que son industrialisation devienne une source de prospérité à long terme, elle doit impérativement être pensée dans une logique de durabilité. Cela implique de renoncer à certaines facilités du court terme pour bâtir un avenir viable. Cela exige aussi du courage politique, de l’innovation entrepreneuriale et un profond sens de la responsabilité collective.
Car l’industrialisation durable n’est pas seulement une question technique ou économique. C’est un projet de société. Un contrat moral entre les générations d’aujourd’hui et celles de demain.