Les leaders de l’industrialisation locale à Goma : visions, stratégies et combats


Alors que Goma cherche à s’affranchir d’une économie de consommation pour bâtir une économie de production, certains acteurs se démarquent par leur volonté de transformer cette ambition en réalité. Qu’ils soient chefs d’entreprise, décideurs politiques ou leaders d’opinion, ils portent, chacun à leur manière, le projet d’une industrialisation locale inclusive et durable. OWANDJI dresse le portrait de cinq figures influentes qui façonnent l’émergence industrielle de Goma.


1. Marie-Josée MULINDWA – Transformer les récoltes, nourrir une vision

Agro-ingénieure et cofondatrice de COOPAGRI Goma, Marie-Josée Mulindwa s’est donné pour mission de développer une chaîne de valeur complète autour du manioc. Son unité de transformation, installée à Kiziba, emploie aujourd’hui 26 personnes, majoritairement des femmes rurales.

« Nous devons créer de la valeur là où nous sommes. Transformer localement, c’est libérer notre potentiel économique. »

Sa vision : industrialiser l’agriculture familiale pour en faire un levier de sécurité alimentaire et d’exportation. Pour y parvenir, elle plaide pour un accompagnement technique et financier des agro-transformateurs. Parmi ses défis : le manque d’équipements modernes, les coupures d’électricité, et les lourdeurs douanières pour importer des pièces de rechange.

« Ce que nous faisons à petite échelle peut inspirer un modèle national, mais il faut un écosystème adapté. »


2. Patient NGANDU – Mode et industrie, un tandem possible à Goma

Entrepreneur et consultant, Patient Ngandu est le fondateur de KELU’S FASHION, une maison de couture locale devenue pionnière dans la production en série de vêtements à Goma. Avec Kivu Couture Industrie (KCI), son projet industriel lancé en 2024, il veut passer de l’artisanat à la fabrication structurée, tout en valorisant les tissus congolais.

« L’industrialisation commence quand on cesse de produire à l’unité pour penser à la chaîne. Le textile est un secteur négligé, mais plein de potentiel. »

Ngandu mise sur la formation des jeunes couturiers, la modernisation des ateliers et la recherche de débouchés régionaux. Il rêve d’un pôle textile local capable de rivaliser avec les importations asiatiques.

« Nous avons la créativité, le marché et les ressources humaines. Ce qui manque, c’est une vision collective et des incitations concrètes pour investir. »


3. Ir. Patrick SHABANI – Faire du recyclage une industrie verte

À 35 ans, l’ingénieur Patrick Shabani, fondateur de Green Recyclers Goma, incarne une nouvelle génération d’industriels à la fois innovants et écoresponsables. Dans son atelier de Buhimba, plastique et métal deviennent pavés, bancs, clôtures ou accessoires urbains.

« Pour moi, l’industrialisation ne doit pas reproduire les erreurs des autres. Elle doit être circulaire, inclusive et adaptée à notre environnement. »

Patrick développe des machines locales à faible consommation, forme des jeunes déscolarisés, et crée des produits compétitifs à base de déchets. Son modèle : une industrie communautaire décentralisée, capable de transformer les villes tout en réduisant la pollution.

« Chaque quartier devrait avoir sa petite industrie de recyclage. Il ne faut pas attendre l’État pour commencer. »


4. Francine KASEYA – Une voix politique pour une industrie locale

Députée provinciale et présidente de la Commission économie et développement à l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu, Francine Kaseya est l’une des rares figures politiques à plaider activement pour l’industrialisation locale.

« Tant que nous dépendrons des produits importés, nous serons à la merci de l’extérieur. Il faut produire ici, consommer ici, exporter d’ici. »

Elle milite pour l’adoption d’une politique industrielle provinciale, avec des incitations fiscales pour les PME industrielles, un fonds d’appui à l’outil de production local, et la création d’une zone économique spéciale à Goma.

« L’État doit jouer son rôle de catalyseur. Nous devons investir dans les infrastructures, l’énergie, la formation technique, et protéger nos marchés. »

Sa proposition de loi pour une taxation différenciée favorisant les produits transformés localement est encore en débat, mais elle continue de faire pression pour des mesures structurelles.


5. Richard MUKUNGUBILA – Un banquier qui croit en l’industrie

À la tête de Crédence Equity, une société de microfinancement basée à Goma, Richard Mukungubila s’est spécialisé dans l’accompagnement financier des projets industriels émergents. Contrairement aux acteurs classiques du crédit, il mise sur le capital patient, l’accompagnement technique et l’investissement dans des modèles viables.

« Le problème ce n’est pas le manque de bonnes idées, mais l’absence d’instruments financiers adaptés à l’industrie naissante. »

Son institution a financé plusieurs projets pilotes dans l’agroalimentaire, le textile et l’énergie renouvelable. Il milite pour la mise en place d’un fonds d’industrialisation régional, soutenu par des partenaires publics et privés.

« Il est temps de traiter l’industrie comme un investissement à long terme, pas comme une opération commerciale rapide. »


Une convergence de visions, des chemins différents

Malgré leurs parcours divers, ces cinq leaders partagent plusieurs convictions fortes :

  • Goma peut devenir un pôle industriel, si les acteurs publics et privés travaillent ensemble.
  • L’industrialisation doit valoriser les ressources locales, qu’elles soient agricoles, artisanales, humaines ou naturelles.
  • Le soutien institutionnel et financier est crucial pour passer de l’initiative isolée à la stratégie collective.

Cependant, les défis restent communs : faiblesse de l’énergie, instabilité du cadre réglementaire, fiscalité dissuasive, faible accès au crédit, et manque d’infrastructures industrielles modernes.


Conclusion : bâtir une communauté industrielle à Goma

Ces portraits montrent que l’industrialisation à Goma n’est plus un mythe, mais un chantier en cours. Des pionniers y investissent leur temps, leur énergie et leurs ressources, souvent dans des conditions difficiles. Ils prouvent qu’avec vision, innovation et engagement, une nouvelle économie peut émerger.

Pour que leurs efforts ne restent pas marginaux, il est urgent de :

  • créer un réseau structuré d’industriels locaux,
  • mettre en place des mécanismes de financement adaptés,
  • et assurer un accompagnement institutionnel et éducatif.

En les soutenant, Goma pourrait non seulement créer des emplois et réduire sa dépendance aux importations, mais aussi devenir un modèle d’industrialisation inclusive et durable dans la région des Grands Lacs.