L’industrialisation, moteur de croissance pour Goma et le Kivu
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Patient NGANDU - Directeur de publication |
Dans les débats sur le développement durable de la région de Goma et plus largement du Kivu, la question de l’industrialisation revient avec une insistance justifiée. Face à une économie encore largement informelle, dépendante des importations et dominée par des activités de subsistance, l’industrialisation apparaît non seulement comme une nécessité stratégique, mais surtout comme un levier incontournable pour enclencher une transformation structurelle de l’économie locale.
Le contexte régional, marqué par une jeunesse nombreuse, un marché en expansion et une abondance de ressources naturelles, offre des atouts non négligeables. Pourtant, les défis restent multiples. Cet éditorial propose une lecture critique des enjeux de l’industrialisation dans le contexte de Goma et du Kivu : ses promesses, ses limites actuelles et les conditions de sa réussite.
Une voie vers la diversification économique
L’un des apports majeurs de l’industrialisation réside dans sa capacité à diversifier l’économie locale. Trop souvent, les économies régionales comme celle du Nord-Kivu restent dépendantes de quelques secteurs traditionnels — agriculture vivrière, commerce informel, exploitation artisanale des minerais — qui, bien qu’importants, n’apportent ni valeur ajoutée significative, ni stabilité économique à long terme.
En favorisant la transformation locale des matières premières — minerais, produits agricoles, bois —, l’industrialisation permettrait non seulement de conserver une part plus importante de la valeur sur place, mais aussi de stimuler la création de chaînes de valeur régionales. Par exemple, au lieu d’exporter du café brut ou du coltan sans traitement, la transformation locale ouvrirait la voie à des industries de torréfaction, de conditionnement, ou de composants électroniques. De telles activités généreraient des emplois qualifiés, renforceraient le tissu entrepreneurial et favoriseraient les compétences locales.
Un puissant levier pour l’emploi et la jeunesse
La jeunesse constitue l’un des visages les plus visibles de Goma : dynamique, innovante, mais aussi confrontée à un taux de chômage élevé. Dans un tel contexte, l’industrialisation est porteuse d’espoirs. Contrairement aux services ou à l’économie extractive qui absorbent peu de main-d’œuvre, le secteur industriel — notamment les industries manufacturières et agroalimentaires — est fortement créateur d’emplois.
Ces emplois ne concernent pas uniquement les ouvriers d’usine. Ils englobent une diversité de métiers : ingénierie, maintenance, logistique, gestion de la qualité, design de produits, marketing industriel, etc. Par effet d’entraînement, l’industrialisation dynamise d’autres secteurs, comme les transports, la formation professionnelle ou encore le numérique. Ce phénomène, connu sous le nom d’« industrialisation par diffusion », est crucial pour renforcer la cohésion économique et sociale de la région.
Des infrastructures à repenser
Pourtant, l’industrialisation ne saurait se décréter par volonté politique ou discours volontaristes. Elle repose sur un socle d’infrastructures solides. Or, dans le Kivu, ce socle reste fragile. Les routes, les réseaux électriques, les systèmes logistiques et les infrastructures portuaires ou frontalières demeurent insuffisants ou mal entretenus. La faiblesse de l’accès à l’énergie — un facteur clé dans le coût de production industriel — freine considérablement l’émergence de sites industriels performants.
Par ailleurs, la qualité des télécommunications, la fiabilité des services bancaires, la stabilité foncière et l’accès au financement restent des obstacles majeurs pour les entrepreneurs industriels. Sans investissements publics conséquents dans les infrastructures de base, l’industrialisation risque de rester cantonnée à des projets isolés ou de petite envergure, sans effet structurel.
L’avantage géostratégique de Goma
Goma, située à la frontière avec le Rwanda, au cœur de la région des Grands Lacs, dispose d’un atout géostratégique indéniable. Sa position en fait un hub naturel pour les échanges commerciaux transfrontaliers, les corridors logistiques et l’implantation d’industries destinées à l’exportation régionale. Cette position peut être exploitée intelligemment pour construire une base industrielle orientée vers les marchés du Rwanda, du Burundi, de l’Ouganda et même de la Tanzanie.
En outre, la présence d’un aéroport international, combinée à une population croissante et à l’émergence d’un marché urbain dynamique, crée une demande locale de biens de consommation qui peut être alimentée par des industries locales. Au lieu d’importer des produits de première nécessité, Goma pourrait devenir productrice de ciment, de matériaux de construction, de vêtements, de produits agroalimentaires ou pharmaceutiques.
Les défis réglementaires et institutionnels
Mais l’industrialisation ne peut être portée uniquement par des dynamiques de marché ou des initiatives privées. Elle suppose un cadre institutionnel stable et incitatif. Or, de nombreux investisseurs industriels à Goma dénoncent la complexité administrative, l’instabilité réglementaire, la fiscalité incohérente ou excessive, et les lenteurs bureaucratiques.
Pour répondre à ces contraintes, il est urgent de mettre en place des zones économiques spéciales (ZES), dotées d’avantages fiscaux, de procédures allégées et d’un accompagnement institutionnel. Ces zones, bien gérées, peuvent attirer des investissements industriels à fort potentiel, tout en créant des écosystèmes d’innovation et de formation professionnelle adaptés aux besoins industriels.
L’impératif écologique et social
Une industrialisation réussie ne doit pas reproduire les erreurs du passé, notamment celles liées à la pollution, à l’exploitation abusive des ressources ou à l’exclusion des populations locales. Goma et le Kivu doivent s’engager résolument dans une industrialisation durable, respectueuse de l’environnement, de la biodiversité et des droits sociaux.
Cela suppose d’investir dans des technologies propres, de favoriser les énergies renouvelables, de promouvoir des pratiques industrielles circulaires et de veiller à une juste répartition des richesses créées. La concertation entre pouvoirs publics, entreprises, communautés locales et société civile est essentielle pour instaurer un modèle industriel équitable et résilient.
Conclusion : un tournant historique à ne pas manquer
Goma et le Kivu sont à la croisée des chemins. L’industrialisation n’est pas un luxe ni une utopie. Elle constitue une nécessité historique pour sortir durablement de la pauvreté, réduire la dépendance extérieure et construire une économie résiliente. Les conditions sont là : ressources, capital humain, marché, ambition entrepreneuriale. Ce qui manque encore, c’est une vision stratégique coordonnée, des investissements ciblés et une volonté politique ferme.
Faire de l’industrialisation un moteur de croissance n’est pas une option. C’est une obligation envers les générations présentes et futures. C’est aussi un moyen de bâtir une paix durable, fondée sur l’emploi, la dignité et l’espoir partagé.