L’industrialisation locale : quels obstacles rencontrent les entrepreneurs à Goma ?


Parler d’industrialisation à Goma suscite l’enthousiasme. Pourtant, pour les entrepreneurs qui essaient de passer de la production artisanale à la transformation industrielle, le chemin est semé d’embûches. Entre promesses politiques et réalités de terrain, de nombreux porteurs de projets se heurtent à des obstacles structurels : financement rare, infrastructures défaillantes, incertitudes administratives… Ce reportage donne la parole à ceux qui essaient, souvent avec acharnement, de faire émerger une industrie locale dans l’Est du Congo.


Une ambition forte, mais un terrain peu préparé

Dans le quartier Mugunga, à la sortie ouest de Goma, Jonas Kasereka gère une petite unité de transformation de manioc. Avec ses deux machines — un broyeur et une presse à farine — il ambitionne d’augmenter sa capacité de production pour répondre à la demande croissante en farine locale. « Le marché est là. Ce qui nous manque, c’est la possibilité d’investir. La banque me demande des garanties que je n’ai pas. Je veux acheter une nouvelle machine pour tripler la production, mais je suis bloqué depuis un an », confie-t-il.

Ce témoignage illustre une réalité largement partagée : de nombreux entrepreneurs ont des idées viables, mais manquent cruellement de moyens pour les concrétiser à grande échelle.


Financement : des conditions hors de portée pour les PME

L’accès au crédit est le premier obstacle évoqué par la majorité des entrepreneurs interrogés. Les institutions financières de Goma sont souvent frileuses à l’idée d’octroyer des prêts aux petites industries locales, qu’elles jugent risquées ou non rentables à court terme.

« Même pour un prêt de 10 000 dollars, on me demande un titre foncier, un bilan certifié, et une garantie bancaire. Comment peut-on répondre à ces critères quand on démarre à peine ? », s’interroge Béatrice Kavira, promotrice d’une petite savonnerie dans le quartier Majengo.

Selon elle, les produits financiers disponibles sont plus adaptés aux activités commerciales à rotation rapide qu’aux projets industriels qui nécessitent des investissements lourds, sur plusieurs années. L’absence de guichets spécifiques pour l’industrie au sein des banques locales aggrave le problème. En conséquence, de nombreux entrepreneurs se tournent vers des financements informels, ou renoncent à leurs ambitions industrielles.


Infrastructures : produire dans des conditions précaires

Autre frein majeur : les infrastructures de base. À Goma, les coupures d’électricité sont quotidiennes, les routes d’accès aux zones de production sont en mauvais état, et l’approvisionnement en eau est irrégulier. Ces conditions rendent la production industrielle instable et coûteuse.

« Nous fonctionnons avec un groupe électrogène presque toute la journée. Le litre d’essence coûte plus de 3 000 FC. Cela plombe notre rentabilité », explique Dieudonné Bahati, propriétaire d’un atelier de menuiserie mécanique. Il envisageait d’installer une ligne de production semi-automatique, mais a abandonné faute d’électricité suffisante.

Le port de Goma, bien que stratégique pour l’acheminement des matières premières via le lac Kivu, reste peu développé et difficile d’accès pour les petits opérateurs. L’absence d’une zone industrielle dotée d’infrastructures adaptées (eau, électricité, routes, sécurité) empêche l’émergence d’un écosystème propice à l’industrialisation.


Réglementation et pratiques commerciales : opacité et instabilité

Sur le plan administratif, la majorité des entrepreneurs dénoncent un cadre réglementaire instable et parfois incohérent. Les procédures d’enregistrement des entreprises, d’importation d’équipements ou d’obtention d’agréments techniques sont longues, coûteuses, et sujettes à des interprétations variables selon les agents publics.

« Pour importer une simple machine de découpe, j’ai dû payer des frais imprévus à chaque étape. Personne ne vous donne d’information claire. Et les taxes changent sans préavis », témoigne Michel Nshombo, qui tente de développer une unité de fabrication de tuiles écologiques à base de plastique recyclé.

Cette instabilité réglementaire rend la planification difficile pour les industriels. Par ailleurs, l’environnement commercial est dominé par l’informel, avec une concurrence déloyale des produits importés à bas coût (souvent sans contrôle de qualité) qui inondent le marché local. Les producteurs locaux peinent à rivaliser sans un appui spécifique des autorités.


Formation : des ressources humaines encore limitées

Un autre problème souvent négligé concerne le manque de main-d’œuvre qualifiée. Le système éducatif actuel forme peu de techniciens spécialisés adaptés aux besoins industriels : électromécaniciens, techniciens en automatisation, gestionnaires de production, etc.

« Quand je veux recruter un opérateur pour ma machine à extruder, je ne trouve personne ici. Je dois faire venir quelqu’un de Bukavu ou même de Kigali », regrette Patrick Shabani, entrepreneur dans le secteur du plastique.

Faute de formations professionnelles orientées vers les besoins réels de l’industrie, les entreprises se tournent vers des autodidactes, souvent formés sur le tas, avec les limites que cela implique en termes de qualité et de productivité.


Des initiatives locales pour contourner les obstacles

Face à ces défis, certains entrepreneurs développent des stratégies ingénieuses pour avancer. L’union fait la force : des coopératives industrielles commencent à émerger pour mutualiser les ressources, partager les machines ou négocier collectivement avec les institutions financières.

D’autres s’appuient sur les réseaux de la diaspora pour obtenir des équipements, ou sollicitent les ONG locales pour du renforcement de capacités. Des initiatives comme les incubateurs d’entreprises (par exemple Kivu Entrepreneurs ou La Fabrik) commencent à offrir des accompagnements sur mesure aux porteurs de projets industriels.

Cependant, ces efforts restent dispersés et insuffisants sans une politique publique volontariste.


Les attentes des entrepreneurs : cinq propositions concrètes

Au terme de cette enquête, plusieurs recommandations reviennent de façon récurrente dans les discours des entrepreneurs :

  1. Création d’un fonds de soutien à l’industrialisation locale, avec des conditions d’accès adaptées aux PME.
  2. Amélioration des infrastructures industrielles : électricité, routes, zones d’activités économiques.
  3. Simplification des procédures administratives pour l’importation, l’enregistrement et la fiscalité.
  4. Mise en place de formations techniques ciblées, en partenariat avec les entreprises locales.
  5. Protection du marché local, par des contrôles qualité plus stricts sur les importations.

Conclusion : bâtir un environnement industriel solide, pas à pas

L’industrialisation à Goma ne sera pas le fruit d’une seule volonté entrepreneuriale. Elle exige un environnement favorable, où les institutions jouent pleinement leur rôle d’appui. En écoutant les entrepreneurs et en répondant concrètement à leurs préoccupations, les autorités et les partenaires au développement peuvent contribuer à poser les fondations d’une véritable transformation industrielle, inclusive et durable.

Goma regorge de talents et d’idées. Il ne reste plus qu’à leur donner les outils pour passer à l’échelle.