Les projets industriels en cours à Goma : vers une transformation du paysage économique local


Dans une région longtemps dominée par le commerce informel et l’économie de subsistance, l’émergence de projets industriels à Goma représente une lueur d’espoir pour une transformation structurelle de l’économie locale. Loin d’être un simple slogan, l’industrialisation prend forme à travers plusieurs initiatives, portées par des acteurs privés, des coopératives, ou en partenariat avec des institutions publiques et internationales. Tour d’horizon des projets en cours qui pourraient bien façonner le visage économique du Kivu de demain.


1. Agro-industrie : de la terre à l’usine

La coopérative COOPAGRI transforme le manioc local

Située à Kiziba, à quelques kilomètres de Goma, la Coopérative Agro-Industrielle du Kivu (COOPAGRI) a lancé en 2023 une unité pilote de transformation du manioc en farine de haute qualité et en amidon industriel. Le projet, soutenu par l’ONG belge Trias et financé en partie par un programme de développement rural, a pour but d’augmenter la valeur ajoutée des cultures locales tout en créant des emplois dans la chaîne agroalimentaire.

« Nous voulons montrer qu’il est possible de transformer ici même ce que nous cultivons, et ne plus dépendre des importations », explique Marie-Josée Mulindwa, ingénieure agroalimentaire et coordinatrice du projet.

L’objectif à moyen terme est de développer des dérivés comme les biscuits, les pâtes locales, et même des bioplastiques à base d’amidon.


2. Secteur minier : la transformation au lieu de l’export brut

Projet Kivu Minerais : raffiner au lieu d’exporter

Lancé par un consortium d’investisseurs congolais et étrangers, le projet Kivu Minerais prévoit l’installation d’une unité semi-industrielle de concentration et de raffinage de coltan et de tantale. Le site est en phase de test dans la zone de Buhimba, sur un terrain de 10 hectares.

« Le but est de ne plus envoyer le minerai brut à Kigali ou Dubaï. Nous voulons maîtriser une partie de la chaîne de transformation ici, à Goma », explique l’un des porteurs du projet sous couvert d’anonymat.

Le projet, bien que prometteur, fait face à des défis liés à l’approvisionnement en électricité et aux réglementations douanières. Mais s’il réussit, il pourrait être une étape stratégique pour que Goma devienne un pôle régional de transformation minière.


3. Textile et artisanat : vers une industrialisation de la mode locale

Kivu Couture Industrie (KCI) : du sur-mesure à la série

Dans le quartier Mapendo, Kivu Couture Industrie (KCI) a récemment ouvert un petit atelier équipé de machines industrielles permettant la fabrication en série de vêtements inspirés de motifs africains. Leur ambition : transformer la mode locale en un secteur industriel formel.

« Nous voulons produire des uniformes scolaires, des tenues professionnelles et des collections en prêt-à-porter, tout en gardant notre identité culturelle », explique le fondateur, Patient Ngandu, également à la tête de KELU'S Fashion.

KCI cherche aujourd’hui des partenaires pour passer de la production artisanale à l’échelle semi-industrielle, avec un objectif de 1 000 pièces par semaine. Un partenariat avec des coopératives de tisserands locaux est en cours pour valoriser les tissus produits à partir du coton congolais.


4. Recyclage industriel : le pari du plastique et du métal

Green Recyclers Goma : transformer les déchets en opportunité

Avec une ville en pleine expansion, Goma produit chaque jour des tonnes de déchets plastiques et métalliques. Le projet Green Recyclers Goma, initié par un groupe de jeunes ingénieurs, vise à transformer ces déchets en matériaux de construction : pavés, tuiles, clôtures écologiques.

Depuis 2024, l’unité pilote située dans la zone industrielle de Katindo a déjà permis de recycler plus de 50 tonnes de plastique. Les produits sont vendus à des ONG pour des chantiers communautaires et des promoteurs immobiliers soucieux d’intégrer une dimension écologique.

« Ce projet est à la fois industriel, écologique et social. Nous formons des jeunes en situation de précarité et nous réduisons la pollution », affirme l’ingénieur-chef de projet, Patrick Shabani.

Le groupe envisage une extension vers la production de mobilier urbain et d’objets utilitaires en plastique recyclé d’ici 2026.


5. Energie industrielle : des projets d’autoproduction en gestation

L’un des freins majeurs à l’industrialisation reste l’accès à une énergie fiable. Face à ce défi, certains projets misent sur l’autoproduction énergétique.

Projet Volta Goma : énergie solaire pour les PME

Mis en œuvre par la startup congolaise Volta Goma, ce projet propose des micro-centrales solaires dédiées aux petites unités industrielles (boulangeries, ateliers de soudure, meuneries). Les installations sont accompagnées de batteries de stockage, avec des contrats de location-vente à faible coût.

« Nous avons déjà équipé 12 unités industrielles depuis début 2025. Cela leur permet de fonctionner 24h/24 sans dépendre du réseau public », explique le directeur technique, Junior Murhabazi.

Volta Goma prévoit de créer une mini-zone industrielle alimentée uniquement par le solaire d’ici 2027, en partenariat avec la mairie de Goma et un bailleur européen.


6. Projets à long terme : vers une zone économique spéciale ?

Au niveau stratégique, une zone économique spéciale (ZES) est envisagée à long terme sur la route de Sake. Ce projet, encore à l’étude, vise à offrir un cadre fiscal et logistique attractif pour les investisseurs industriels. La ZES serait dotée d’infrastructures modernes (eau, électricité, sécurité, douanes intégrées) et d’un guichet unique pour les démarches administratives.

« Ce serait un catalyseur pour attirer de vraies industries à Goma. Mais cela demande un engagement fort de l’État et des bailleurs », commente un expert en développement local.

La ZES pourrait abriter des entreprises des secteurs agroalimentaire, pharmaceutique, textile, ou encore de l’électromécanique, à condition de sécuriser les financements nécessaires.


Une dynamique à encourager, un écosystème à structurer

L’ensemble de ces projets témoigne d’un frémissement industriel à Goma. Toutefois, ils restent souvent isolés, sans réelle synergie ni écosystème intégré. Le manque de coordination entre les initiatives, l’absence de structures d’accompagnement solides, et les difficultés d’accès au financement constituent encore des freins majeurs.

Pour passer d’une série de projets prometteurs à un véritable tissu industriel régional, les experts suggèrent :

  • la création d’un réseau d’acteurs industriels locaux pour favoriser les partenariats,
  • un fonds d’amorçage public-privé pour soutenir les projets émergents,
  • une implication plus forte des institutions éducatives dans la formation aux métiers industriels,
  • et une politique publique cohérente en faveur de l’industrialisation inclusive.

Conclusion : des signaux positifs pour un avenir industriel à Goma

Les projets en cours montrent que Goma dispose d’un potentiel réel pour construire une base industrielle, malgré les contraintes. Ils démontrent également l’enthousiasme et la créativité des acteurs locaux, qui n’attendent plus seulement l’État, mais prennent des initiatives avec les moyens du bord.

Si les conditions d’accompagnement s’améliorent, Goma pourrait dans les prochaines années devenir un centre industriel émergent du Kivu, capable non seulement de transformer ses propres ressources, mais aussi d’exporter de la valeur ajoutée vers le reste du pays et de la sous-région.