Rencontres avec des Entrepreneurs du Commerce Transfrontalier
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Crédit photo : Goma Fleva, Clauvis Lusala |
Derrière les chiffres du commerce transfrontalier se cachent des visages, des parcours audacieux, et des histoires de résilience. À Goma, de nombreux entrepreneurs ont su tirer parti de la proximité géographique avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi pour bâtir des entreprises prospères. Leurs témoignages offrent un aperçu vivant des dynamiques du commerce régional et des leçons précieuses pour les jeunes entrepreneurs.
1. Aline Nzigire – Du petit commerce à la distribution agroalimentaire
À 35 ans, Aline est à la tête d’un réseau de distribution de produits agroalimentaires entre Rubavu (Rwanda) et Goma. Partie d’une simple échoppe au marché de Kituku, elle a su formaliser ses activités, créer une société de négoce, et établir des relations solides avec des producteurs rwandais de farine, biscuits et boissons non alcoolisées.
« J’ai appris à respecter les procédures douanières, à planifier mes livraisons, et à diversifier mes fournisseurs. Ce sont ces efforts qui m’ont permis de gagner la confiance de mes clients à Goma. »
Elle emploie aujourd’hui une douzaine de jeunes dans la logistique et la distribution.
2. Dieudonné Bahati – De Goma à Kisoro avec des outils agricoles
Ancien mécanicien devenu commerçant, Dieudonné a flairé l’opportunité de vendre des outils agricoles aux petits cultivateurs de Nyiragongo et Rutshuru. Il s’approvisionne chaque semaine à Kisoro (Ouganda), où il achète houes, arrosoirs, semences améliorées et intrants agricoles.
« Au début, je n’avais pas de capital. J’ai commencé avec 50 dollars. Aujourd’hui, je fais au moins deux voyages par semaine. J’ai dû apprendre à négocier, à gérer les taux de change, et à sécuriser mes marchandises. »
Il rêve désormais de lancer un centre de formation en outillage rural à Goma.
3. Mireille Uwera – Mode sans frontière
Créatrice de la marque MU Fashion, Mireille, styliste congolaise formée à Kigali, conçoit des vêtements qu’elle fait coudre à Goma, puis vend à Rubavu et parfois à Bukavu. Elle s’est spécialisée dans les tenues traditionnelles revisitées, très appréciées lors des cérémonies au Rwanda.
« J’ai dû apprendre à m’adapter aux goûts des clientes rwandaises, à gérer la logistique de livraison, et à établir une marque crédible de part et d’autre de la frontière. »
Elle travaille avec cinq couturières et prévoit d’ouvrir une boutique physique à Rubavu.
4. Pascal Murhabazi – Transporteur et facilitateur de passage frontalier
Pascal, 42 ans, est transporteur indépendant entre Goma et Rubavu. Depuis 10 ans, il assure le transit des marchandises pour le compte de petits commerçants. Sa connaissance des rouages administratifs, des heures de moindre affluence, et de la législation locale en fait un acteur clé dans la fluidité du commerce transfrontalier.
« Mon rôle va au-delà du transport. Je conseille les commerçants sur les documents à préparer, j’anticipe les taxes, et j’évite qu’ils soient victimes de tracasseries. »
Aujourd’hui, il forme d’autres jeunes pour professionnaliser ce métier.
5. Grâce Kavugho – L’artisanat local qui traverse les frontières
Artisane en bijoux et objets décoratifs, Grâce vend ses créations à Goma et les exporte vers le Rwanda et l’Ouganda via des foires artisanales et des circuits touristiques. Sa participation à des salons à Kigali lui a permis de nouer des partenariats avec des boutiques d’art local.
« J’ai compris qu’il fallait allier qualité, originalité et respect des normes. Mon défi aujourd’hui est d’augmenter ma production sans perdre l’authenticité de mon travail. »
Elle milite pour une meilleure reconnaissance du commerce culturel transfrontalier dans la région.
Conclusion
Ces portraits révèlent une constante : le commerce transfrontalier à Goma est avant tout une affaire d’humains, d’initiatives locales, de passion et de persévérance. Chaque entrepreneur rencontré incarne une facette de ce commerce régional dynamique, mais souvent fragile. Ils montrent aussi que, malgré les obstacles, l’intégration économique régionale peut être une réalité vécue au quotidien, pour peu que l’environnement s’y prête.