L’entrée du mot liboke dans le Larousse : reconnaissance culturelle ou récupération linguistique ?


L’annonce de l’intégration du mot liboke dans la prochaine édition 2026 du Larousse a suscité un mélange de fierté et de méfiance à Kinshasa et dans tout le pays. Pour certains Congolais, voir ce célèbre plat traditionnel préparé à base de poisson, de poulet ou de viande enveloppé dans des feuilles de bananier figurer dans un dictionnaire français est une victoire symbolique : c’est la preuve que la culture culinaire congolaise rayonne et gagne une reconnaissance internationale.

Cependant, cette satisfaction est loin d’être unanime. De nombreux intellectuels, linguistes et universitaires congolais dénoncent ce qu’ils considèrent comme une démarche unilatérale de l'Académie française. Selon eux, comment expliquer que des mots issus des langues nationales congolaises soient « validés » par une institution européenne sans concertation avec les gardiens de ces langues ? Une part de l’élite congolaise voit dans cette décision un acte de récupération culturelle, un exemple de plus d’appropriation symbolique sans dialogue ni respect du contexte originel.

Cette situation met en lumière un débat plus large : à qui appartient la légitimité de définir un mot et son importance culturelle ? Le liboke n’est pas qu’un simple plat : c’est un rite, une pratique familiale, un geste identitaire. L’inscrire dans un dictionnaire occidental sans en reconnaître l’origine profonde risque de réduire ce symbole culinaire à une simple entrée exotique parmi d’autres.

Paradoxalement, cette polémique révèle aussi nos propres faiblesses : avons-nous, en RDC, fait suffisamment pour valoriser et standardiser nos langues nationales dans des dictionnaires officiels, des ouvrages académiques ou des programmes scolaires ? Certains observateurs estiment que nous crions au scandale seulement lorsque l’Occident s’intéresse à nos expressions, alors que nous ne faisons pas assez pour les promouvoir et les documenter nous-mêmes.

D’un autre côté, plusieurs jeunes Congolais, notamment dans la diaspora et sur les réseaux sociaux, prennent cette nouvelle du Larousse comme une opportunité. Ils y voient un outil pour faire connaître davantage la gastronomie congolaise, attirer les curieux, promouvoir les restaurants congolais à l’international et encourager le tourisme culinaire. Pour eux, cette visibilité est une occasion à saisir, à condition qu’elle s’accompagne d’un travail local de valorisation culturelle.

En fin de compte, l’entrée de liboke dans le Larousse 2026 doit nous inviter à réfléchir à une double réalité :

  • Oui, la reconnaissance internationale de nos traditions est une forme de rayonnement ;
  • mais elle doit rester un processus contrôlé, respectueux et collaboratif, dans lequel les Congolais sont acteurs, et non seulement objets de découverte.


Ce débat autour d’un simple mot révèle ainsi des enjeux profonds : la souveraineté culturelle, la fierté identitaire et la nécessité d’une politique linguistique nationale forte. Au lieu de rejeter entièrement ou de célébrer naïvement cette annonce, il serait peut-être temps que la RDC renforce ses propres institutions linguistiques et culturelles, et fasse entendre sa voix dans la définition des mots qui portent son histoire.