Quand l'abondance appauvrit : le paradoxe de l'ananas
Sur l’île d’Idjwi, au Sud-Kivu, la saison de récolte de l’ananas bat son plein. Les champs regorgent de fruits, les marchés sont saturés, et pourtant, un ananas se vend de 300 à 750 FC, un prix dérisoire qui ne reflète ni l’effort du producteur ni la valeur réelle du produit. Derrière cette abondance se cache une réalité plus dure : les producteurs vivent dans la précarité.
Ce paradoxe pose une question centrale : comment expliquer que ceux qui nourrissent la population n’arrivent pas à vivre de leur travail ?
La réponse est en grande partie structurelle. À Idjwi, comme dans de nombreuses zones rurales de la RDC, l’agriculture reste peu organisée. Les producteurs vendent individuellement, sans pouvoir de négociation, dépendants des intermédiaires qui imposent les prix. L’absence d’unités de transformation locale empêche toute création de valeur ajoutée, tandis que l’isolement géographique de l’île limite l’accès aux grands marchés urbains.
Pourtant, des solutions existent.
D’abord, la structuration des producteurs en coopératives fortes permettrait de mieux organiser la production, de stabiliser les prix et d’accéder au financement. Ensuite, l’investissement public et privé dans la transformation locale (jus, ananas séché, confitures) créerait de l’emploi et augmenterait les revenus. À cela s’ajoute la nécessité d’infrastructures adaptées : transport lacustre fiable, routes agricoles et connexions commerciales avec Goma et Bukavu.
Sur le plan des politiques publiques, l’État doit jouer un rôle clé :
- mettre en place des mécanismes de régulation des prix,
- soutenir les petits producteurs par des subventions ciblées et des formations,
- faciliter les partenariats avec des acteurs comme la FAO, le PNUD, Enabel et le secteur privé agricole.
Le cas de l’ananas à Idjwi n’est pas un fait divers agricole. Il est le miroir d’un modèle à bout de souffle où l’agriculture nourrit les villes mais appauvrit les campagnes. Réussir la transformation agricole en RDC commence par garantir une chose simple : que le producteur vive dignement de son travail.
