Microcrédit : qu’en pensent les bénéficiaires ?
Le microcrédit est souvent présenté comme un levier essentiel pour stimuler l’entrepreneuriat et lutter contre la pauvreté. Mais qu’en est-il réellement pour celles et ceux qui le vivent au quotidien ? À Goma, nous sommes allés à la rencontre de plusieurs bénéficiaires de microcrédit – commerçants, artisans, agriculteurs, prestataires de services – pour recueillir leurs impressions, leurs défis et les transformations qu’ils ont vécues. Leurs témoignages, riches et nuancés, révèlent une réalité complexe faite d’espoirs, d’opportunités mais aussi de contraintes.
Une porte d’entrée vers l’autonomie
Pour de nombreux bénéficiaires interrogés, le microcrédit représente une bouffée d’oxygène dans un environnement économique marqué par le chômage et la rareté des opportunités de financement formel.
Bernadette, 41 ans, mère de cinq enfants et vendeuse de pains dans le quartier Katindo, explique :
« Avant le crédit, je dépendais du revenu de mon mari. Aujourd’hui, je gère ma propre activité. Avec 200 dollars, j’ai pu acheter un four, diversifier mes produits, et livrer dans deux écoles. Je suis fière de contribuer aux dépenses de la maison. »
Son témoignage est représentatif de nombreux récits de femmes qui, grâce au microcrédit, ont lancé ou structuré une activité génératrice de revenus, leur permettant une certaine indépendance financière et sociale.
Des changements visibles dans le quotidien
L’impact du microcrédit ne se limite pas à l’entreprise. Beaucoup de bénéficiaires soulignent des changements dans leur vie quotidienne, notamment en ce qui concerne l’alimentation, la scolarisation des enfants, la santé et l’habitat.
Justin, 29 ans, motard de la commune de Karisimbi, raconte :
« Grâce à mon premier crédit, j’ai acheté une moto d’occasion. J’ai remboursé en six mois. Ensuite, j’ai repris un crédit pour acheter une deuxième moto, que je loue maintenant. Je gagne mieux, je peux aider ma famille au village. Avant, je survivais au jour le jour. »
L’effet multiplicateur du crédit, lorsqu’il est bien utilisé, est réel. Il permet non seulement de développer l’activité, mais aussi d’accéder à une forme de dignité économique, souvent absente dans les parcours précaires.
Des conditions d’accès encore floues pour certains
Mais le tableau n’est pas toujours aussi positif. Plusieurs bénéficiaires pointent un manque de clarté dans les conditions de prêt, notamment pour les premiers emprunts.
Amina, vendeuse de produits cosmétiques au marché Virunga, explique :
« La première fois, j’ai signé sans bien comprendre les taux d’intérêt. Je pensais rembourser seulement le montant emprunté. Finalement, j’ai dû payer 30 % de plus. J’ai eu du mal à m’en sortir. »
Cette méconnaissance des conditions de crédit – taux d’intérêt, échéances, pénalités – est fréquente. De nombreux bénéficiaires disent avoir contracté leur prêt sans accompagnement suffisant, parfois même sans contrat écrit. Cela favorise la méfiance et alimente des situations d’endettement difficile à gérer.
Des taux d’intérêt jugés trop élevés
Une plainte récurrente concerne les taux d’intérêt appliqués, jugés excessifs par une grande majorité des personnes interrogées. Dans certains cas, les intérêts mensuels atteignent 3 à 5 %, ce qui peut représenter un frein important à la rentabilité de l’activité.
Michel, propriétaire d’un atelier de menuiserie à Mugunga, témoigne :
« Mon activité est saisonnière. Mais les remboursements sont mensuels et fixes. Je paie des intérêts même quand je n’ai pas de commandes. C’est étouffant. »
Pour de nombreux entrepreneurs, le modèle rigide de remboursement ne prend pas suffisamment en compte les cycles de trésorerie ni les aléas du marché, surtout dans un contexte instable comme celui de Goma. Certains préfèrent donc recourir à des tontines ou associations villageoises d’épargne et de crédit (AVEC), jugées plus souples.
La peur de l’endettement et la pression sociale
Dans les cas d’échec, les conséquences peuvent être lourdes. Les bénéficiaires évoquent la pression morale, voire la stigmatisation, en cas de défaut de paiement.
Esther, 35 ans, qui avait contracté un crédit en groupe solidaire, partage son expérience :
« Une des membres du groupe n’a pas remboursé à temps. On a été obligées de payer pour elle. Depuis, on ne se parle plus. Il y a eu des tensions, des disputes. Cela m’a découragée. »
Ce genre de situation est courant dans les crédits de groupe, où la responsabilité collective peut créer des conflits interpersonnels, surtout lorsque les membres n’ont pas les mêmes capacités de gestion.
Les attentes : plus de formation et de flexibilité
Malgré ces difficultés, la majorité des bénéficiaires souhaitent poursuivre l’expérience du crédit, à condition que certaines améliorations soient apportées. Les principales recommandations formulées par les personnes interrogées sont :
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Renforcer l’accompagnement avant et après le prêt :
« On a besoin d’apprendre à gérer un budget, à calculer nos bénéfices, à faire des plans. Pas seulement recevoir de l’argent. »
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Adapter les modalités de remboursement à la réalité des activités :
« Certaines entreprises gagnent tous les jours, d’autres non. Il faut des échéances plus souples, ou des crédits avec différé. »
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Réduire les taux d’intérêt et alléger les conditions d’accès :
« On ne devrait pas avoir besoin de garantie formelle pour de petits montants. Et les taux devraient être mieux expliqués. »
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Soutenir les jeunes entrepreneurs :
« Beaucoup de jeunes veulent créer, mais les IMF ne leur font pas confiance. Il faut leur donner une chance. »
Une confiance à renforcer entre bénéficiaires et institutions
Enfin, plusieurs bénéficiaires insistent sur la relation de confiance à développer avec les institutions financières. Certains se disent frustrés par le manque d’écoute ou par des méthodes de recouvrement agressives.
David, entrepreneur dans la vente de pièces détachées, confie :
« Dès qu’on est en retard d’un jour, on reçoit des menaces. C’est humiliant. On a besoin de partenaires, pas de bourreaux. »
Pour améliorer cette relation, certains suggèrent la mise en place de comités de suivi participatif, impliquant les bénéficiaires dans la conception des produits et des services de microfinance.
Conclusion : une révolution silencieuse, mais fragile
L’enquête révèle que le microcrédit joue un rôle crucial dans le quotidien de nombreux habitants de Goma, en leur offrant une alternative au chômage et en stimulant leur créativité entrepreneuriale. Il génère espoir, confiance et responsabilité. Toutefois, ses effets positifs dépendent fortement de la qualité de l’accompagnement, de la transparence des institutions, et de la capacité des bénéficiaires à gérer leurs projets.
Le microcrédit, pour qu’il remplisse pleinement sa mission sociale, doit évoluer vers plus d’humanité, de flexibilité et de pédagogie. C’est à cette condition qu’il pourra devenir un véritable outil de transformation durable, et non une simple dette de plus pour les plus vulnérables.