En RDC, les salariés du privé paient beaucoup plus d’impôts que les agents publics
En 2024, l’impôt sur les revenus des personnes physiques (IRPP) a rapporté 2 935 milliards de francs congolais à l’État. Derrière ce chiffre impressionnant se cache une réalité troublante : près de 90 % de ces recettes proviennent du secteur privé, tandis que le secteur public n’en contribue qu’à un peu plus de 10 %. Une situation paradoxale dans un pays où l’État est pourtant l’un des plus grands employeurs.
À première vue, salariés du privé et agents publics sont logés à la même enseigne : tous perçoivent un salaire, tous sont censés être soumis à l’impôt. Mais dans les faits, la charge fiscale repose de manière écrasante sur les épaules des travailleurs du privé.
Une fiscalité à deux vitesses
Dans le secteur privé formel, l’impôt est prélevé à la source, sans négociation possible. Chaque mois, le salarié reçoit un bulletin de paie amputé de l’IRPP, parfois cumulé à d’autres retenues sociales. L’entreprise, sous la surveillance étroite de l’administration fiscale, n’a pas le choix : elle collecte et reverse.
Dans le secteur public, en revanche, la situation est bien différente. Les salaires sont souvent faibles, irréguliers, parfois complétés par des primes non imposées ou mal déclarées. Certaines rémunérations échappent totalement à l’assiette fiscale. Résultat : la contribution réelle du secteur public reste marginale, malgré des effectifs importants.
Cette disparité crée un sentiment d’injustice fiscale profondément ancré chez les salariés du privé, qui ont le sentiment de financer seuls le fonctionnement de l’État, y compris les salaires des agents publics eux-mêmes.
Le privé, vache à lait de l’État ?
Le secteur privé congolais, déjà fragilisé par un environnement économique difficile — insécurité, instabilité réglementaire, accès limité au crédit — se retrouve en première ligne de la mobilisation fiscale. Les entreprises paient, les salariés aussi. Et quand la pression fiscale devient excessive, ce sont les emplois qui disparaissent, les salaires qui stagnent, et l’économie qui ralentit.
À long terme, cette situation pose une question fondamentale : peut-on construire une économie équilibrée en taxant excessivement ceux qui créent la richesse, tout en épargnant largement ceux qui vivent du budget public ?
Une réforme nécessaire, mais sensible
Corriger ce déséquilibre ne signifie pas augmenter aveuglément les impôts des agents publics, dont beaucoup vivent déjà dans la précarité. Il s’agit plutôt de rétablir l’équité, en élargissant l’assiette fiscale, en améliorant la transparence des rémunérations publiques et en mettant fin aux zones grises qui favorisent l’évasion fiscale interne.
Une fiscalité juste repose sur un principe simple : à revenu égal, impôt égal. Tant que ce principe ne sera pas respecté, la confiance entre l’État et les citoyens restera fragile.
Restaurer la confiance fiscale
L’impôt n’est pas seulement une obligation légale ; c’est aussi un contrat social. Les citoyens acceptent de payer lorsqu’ils ont le sentiment que l’effort est partagé équitablement et que les ressources collectées servent réellement au bien commun.
Aujourd’hui, ce contrat est mis à mal. Le salarié du privé paie beaucoup, voit peu, et constate que d’autres paient moins, voire presque rien. Cette perception alimente le découragement, la fraude et l’informalité — exactement l’inverse de ce que recherche l’État.
Pour une fiscalité plus équilibrée
Si la RDC veut renforcer ses finances publiques de manière durable, elle devra regarder cette réalité en face. Le secteur privé ne peut pas être l’unique pilier de la fiscalité nationale. Une réforme courageuse, progressive et équitable est indispensable pour rétablir l’équilibre entre secteur public et secteur privé.
À défaut, l’injustice fiscale continuera de miner la cohésion sociale, de décourager l’investissement et de freiner le développement économique que le pays appelle de ses vœux.
